Poèmes et textes de Yves Donval
Le Coq
Un coq chantait souvent pour tromper son ennui,
Pour plaire aux poules noires, aux blanches, à la coterie,
Du matin jusqu’au soir, il poussait hardiment,
Sur sa note aiguë, sans aucun ménagement.
Dès les pointes des jours, jusqu’aux tombées de nuit,
Il égosillait fort sur son tas odorant,
Sans se soucier du temps, de l’heure, des autres bruits,
Sans extinction de voix, concentré sur son chant.
Le voisinage humain, usé par son entrain,
S’imaginait le voir finir dans un festin.
Aussi un beau matin une main l’attrapa,
Par décapitation l’envoya au trépas.
Le coq écervelé avait perdu la tête,
Mais se la faire couper, que la vie est mal faite !
Un ange matinal volait pour l’exercice,
Quand il vit, médusé, se faire le sacrifice,
Étant compagnon d’ailes de ce pauvre animal,
Il refusa cette fin, si triste et trop banale.
Il souffla au gaillard « coquicide » le remord,
Afin que les regrets accompagnent cette mort.
Ému, l’homme décida d’enterrer saintement,
Cette dépouille de plumes, pendouillant dans son sang.
Le curé trop retord, refusa ce service ,
Annonça à son ouaille, pas de coq à l’office.
Frappé par son émoi d’inspiration mystique,
Il saisit cependant l’occasion magnifique ,
De faire un beau sermon sur le vrai repentir,
Il fit jaillir des larmes des râles et des soupirs,
Il y eut grande confesse, pléthore de pardons,
Une vague d’amour, quelquefois sans jupons.
Devant le grand succès du sermon du dimanche,
le repenti têtu profita de cette chance,
Et obtint, en retour, de mettre sur le clocher,
la silhouette de son coq, honneur bien mérité !
Grâce à un curé, beau parleur, il est vrai,
Et à un homme habile, « trucideur » de poulet,
Le coq devint l’emblème du grand pays de France
Et siégea au sommet de toute forme d’engeance,
La seule chose que, même l’ange évita,
Compréhensible prudence, c’est redonner sa voix.
Damien ou la découverte bucolique.
Le cerveau en balade dans les brumes écossaises,
A grands coups de whiskys par dessus, par dessous,
Il gambade serein, bienheureux, à son aise,
Extasié pour des riens, une fleur, un coucou.
Le troupeau féminin, gazouille, en retard,
Picorant çà et là quelques baies de chemin,
Encadrées plus ou moins d’un essaim de moutards,
Partant à l’aventure, pas trop vite, pas trop loin.
Au soudain d’un beau chêne, quelle heureuse découverte !
Un flot de tiges vertes, moutonnantes, qu’est-ce donc çà ?
Deux, trois neurones se figent, ces feuilles sont très suspectes,
Mon dieu ! Du cannabis, en veux-tu ! En voilà !
Les femmes insouciantes, occupées à leurs dires,
Ne semblent pas tiquer, devant cette trouvaille,
Elles ne voient que les mûres et préfèrent s’ébahir,
Sur ces haies bocagères, faites de ronces, de broussailles.
Qu’elles sont donc inconscientes ! Elles ratent l’essentiel !
Se dit en lui Damien, sensible aux odeurs d’huiles,
Tel un insecte, il vole, en regardant le ciel,
jusqu’au milieu du champ, puis se couche et jubile.
Quand Mesdames, gavées de paroles et de fruits,
Décident de rameuter leur chère progéniture,
Elles se sentent satisfaites, aucun d’entre eux n’a fui,
Par contre de Damien, elles ne trouvent qu’une chaussure !
Les appels répétés, les questions inutiles,
Où donc ce bourricot a-t’il pu se cacher ?
Sans doute encore une blague au dessein si futile,
Qu’elles se contentent d’en rire, « il a trop picolé».
Une heure plus tard, deux pleurent et la troisième crie,
les enfants prennent peur « où papa est parti ? »,
L’orientation des dames les feraient perdre elles-mêmes,
Quand un voile de fumée dans le champ les amène.
Damien, l’œil citronné, couché, les fesses à l’air,
Se tient le ventre et râle, « quel cannabis pourri ! »,
Il a fumé du chanvre, celui qu’on met en terre,
Pour faire l’isolation, les cordes, pauvre de lui !
Passons tous les détails, maux de cœur et va-vite,
Il se remit très bien, ne fume plus d’herbage,
Par contre la paysan se plaignit par la suite,
Que de gros sangliers avaient fait des ravages.
Rencontre
Mal calé dans mon siège dans ce tram de Nantes, je regardais sans envie les passants précipités vaquant à leurs affaires. Comme beaucoup, l’unique envie de rester seul, sans encombre au milieu d'une foule d’inconnus, m’importait.
Le moins à dire, c’est que les cieux devaient dormir, car quid de mon désir de solitude quand un abruti est venu s’asseoir à côté de moi, quand je dis s’asseoir, c’est plutôt se vautrer.
Impassible à l’agression, je continue mon semblant d’observation, avec un léger état d’âme, lorsque le deuxième coup de semonce me frappe traîtreusement. Une main tendue passe sous mon nez, et ultime attaque, le quidam me dit bonjour.
Panique à bord, cependant, réflexe conditionné, je serre la pogne, me retourne et dit bonjour à ce type qui me sourit de toute sa dent. Instantanément, je pense que cela pourrait être pire, l’odeur est tout juste un peu acre et le gus n’a pas l’air trop agité. Le vrai problème serait s’il commençait à me taxer devant tout le monde, j’aurais l’air du parfait pigeon. « Vous n’auriez pas un petite pièce »? La vache, cela n’a pas traîné ! Non seulement, il quémande, mais en plus d’une force, voudrait-il que tout le tram en profite qu’il n’aurait pas à rajouter un demi décibel. Essayons de rester calme et de faire bonne figure à tous ces curieux qui me filent la honte. Malin, je lui demande quand il descend afin de savoir s’il faut répondre à sa requête rapidement ou plutôt jouer le temps, pour ne pas trop subir son babillage inconsidéré. Le problème, c’est que le semi-édenté à l’œil rieur me répond « Commerche », et une bonne dizaine de fois. En réalité, à chaque échange, il répète inlassablement la même réponse une dizaine de fois, très fort et de manière quasi incompréhensible. Bref, « Commerche » est à moins de trois minutes. Pour soigner ma conscience et montrer que j’aime mieux passer pour un pigeon que pour un vautour, je me saigne de deux euros. La dizaine de « merci, ça ne vas pas te manquer » dans sa langue d'aztèque, accompagné d’un geste pour me rendre cette maudite pièce, me mène tout de même jusqu’à la délivrance. Le tram s’arrête à « Commerche ». Je lui dis au revoir en précisant, tu es arrivé, il me confirme la chose d’une bonne dizaine de « ouisch » et ne bouge pas d’un mm. Un petit moins bien se fait sentir au niveau de mon moral, mais que faire? Je décide donc de mener moi-même la conversation, à ma grande honte, plus pour donner le change à l’entourage que par sollicitude.
Notre homme ayant trouvé une oreille, il me confie qu’il vit dans un petit appartement, qu’il a un chien, mais que sa maman est morte six ans plus tôt d’un cancer méchant, ainsi que son papa qui le battait, mais qui était gentil quand même. Il me raconte ses vacances chez un copain en Vendée, pas loin de la mer, mais pas près non plus, je n'ose pas imaginer la gueule du copain en question.
Toute son histoire m'est suggérée en dix exemplaires, entrecoupée de questions fondamentales du genre, « j’ai le droit d’être triste quand je pense à ma maman »?
Attention, je commence à le connaître, j’ai le malheur de lui répondre qu’il vaut mieux voir les choses plus positivement. Erreur brutale, j'ai énervé ce drôle d'apôtre qui se lâche d'au moins vingt décibels de plus. « J’ai pas le droiche d’esmer ma maman » ?
Si, si , cool Raoul , la réponse lui plaisant, il me sourit aussitôt, calmé, de sa magnifique dent noire légèrement « chicotée ».
Il est gentil ce mec, de plus, il ne sent pas l’alcool mais le café.
Vingt minutes plus tard, c’est moi qui descend, moins pressé que prévu, presque avec l’envie de continuer un bout de route avec cet empêcheur de tourner en rond.
Je me lève pour le quitter, quand il me regarde dans les yeux avec une humanité désarmante, me dit merci, presque normalement, me demande à nouveau si ma pièce ne va pas me manquer et ajoute, je m’appelle Hervé, tu te souviendras ?
Le tram s’en va, et ce soir, je me souviens d’un homme, qui s’appelle Hervé, semi-clochard de son état.
Le 30 mars 2010.
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